Salut Christian et Caroline,

Je vous envoie ici un mail groupé de références que je travaille en ce moment, puisque que je vous vois à des fréquences similaire, que vous êtes tous deux au courant des même avancées sur mon travail, et que vous partagez en plus un corpus théorique qui se recoupe. J'ai écris avec la deuxième personne du singulier, mais c'est impersonnel.

Avant tout, (bon je m'y prends toujours tard je devrais peut être dissocier prise de rdv et mail avec des références) j'aimerais prendre rdv avec chacun d'entre vous (lundi ou mardi par exemple si t'es dispo caroline ?), et Christian j'aimerai discuter de l'appel à résidence.

Ce mail est en fait en deux partie, la première je l'ai écrite aujourd'hui, la deuxième je l'ai écrite avant, mais comme je n'arrivais pas à finir j'ai inverser, enfin bon, de toute façon vous lisez ce que vous voulez si vous le voulez, l'idée c'était de pouvoir mettre à l'écrit là où j'en étais plutôt que de faire un compte rendu oral où j'ai tous le temps de me perdre. Là c'est théorique mais en fait ce que je décris je tente de le vivre aussi bien sûr, on peut le voir comme une sorte de romantisme appliqué à travers cette notion de grève humaine. J'effectue en ce moment un gros travail sur l'affect, qui me confronte à pas mal d'angoisse, et du temps pour les digérer, mais qui permet aussi de mettre des mots dessus, qui construisent une vision du monde et de mon histoire avec son lot de révélation.

C'est pour ça aussi que je n'arrive pas bien à vraiment finir ce mail, ca reste assez flou et théorique, or en ce moment je suis pris par des sortes de crises d'angoisse ou de vacillement du désir qui font que je ne sais plus si je veux finir ou pas ce mail. Je crois donc que depuis un moment je tente de comprendre quels sont mes vrais désirs, comme si mes émotions avaient été manipulé, comme si on m'avait autorisé à ressentir certaines émotions et pas d'autres, comme si on avait calqué une interprétation sur des émotions considéré comme illégitime, et qui alors étaient associé à des émotions de honte ou de peur (voir d'angoisse quand ce n'est pas formulé). C'est ce que j’essaie de sentir en ce moment, de voir les moments où je me force à faire quelques chose, parce qu'on m'a appris que c'était comme ca qu'il fallait faire. Je me rends compte que les habits que je porte, les attitudes que j'ai, les rapports au monde et aux autre, à l'école (comme par exemple cette sorte d'obligation à produire qui mène à une hyperactivité dont j'ai du mal à sortir, mais qui doit venir de l'enfance plutôt que de l'école, enfin j'imagine), une bonne part a été construit dans le but de s'intégrer et de ne pas être rejetté. Comme si on avait forcé ma sensibilité. C'est un mécanisme de survie mais je tente aujourd'hui d'en comprendre le fonctionnement et comment en sortir, c'est à dire, de pouvoir être le plus clair possible sur mes ressentit affectifs.

Et ça tombe bien, parce que c'est ça précisément la grève humaine, comme je la comprends, aussi nommée grève émotionnelle. Si nous sommes relié à un récit anthropologique, (comme l'est celui du capitalisme ou du binarisme de genre), c'est parce qu'il agit sur nous de telle manière que nous le désirons, ou en tout cas que nos affects y sont lié pour qu'il puisse tenir. En fait, ce récit est un agencement de projection affectif, qui forment un système de sens. Sens et affect sont la même chose, c'est un jeu de force entre des objets symbolique. Faire la grève humaine, c'est faire la grève de l'affect et du sens, c'est à dire trouver le point de bascule où l'on ne désire plus ce monde, voir où le rejette de partout, de telle sorte que nos actions ne peuvent que tout faire pour s'en écarter. C'est, j'y pense, la figure du schizo-révolutionnaire, celui qui désire ce qui n'est pas désirable pour ce monde, dans un ordre qui n'est pas accepté dans ce monde (comme le souhaite la raison). Tout comme le paranoïaque renvoie un constat d'angoisse réel à un monde qui refuse en fait le déni. C'est donc aussi un projet mystique, gnostique, la volonté d'être dans un rapport direct à l'affect, sans être médié par un récit politico-religieux.

Le collectif Clairefontaine utilise pas mal cette notion

« Je pense que cette génération (...) de gens qui avaient 15 ou 20 ans quand ils ont fait ce choix entre 1971 et 1972, choix qui durant les années suivantes est devenu un processus généralisé dans les usines et les écoles, dans les paroisses, dans les quartiers, ils ont traversé une transformation anthropologique. Je ne peux trouver une meilleure définition. Une modification culturelle d'eux-mêmes, irréversible, de laquelle on ne peut pas revenir. Et c'est pourquoi plus tard, ces sujets, après 79, quand tout était fini, ils sont devenus fous, ils se sont suicidés, ils sont devenus accros aux drogues, parce que pour eux c'était impossible et intolérable d'être inclus, et apprivoisés. »

C'est ainsi que Balestrini décrit une forme de grève humaine tragique, prenant place durant les années 80, au moment où le mouvement de 77 sombra sous le poids d'une répression disproportionnée.

http://inter-zones.org/la-greve-humaine-dans-le-champ-de-leconomie-libidinale/


On le retrouve aussi auparavant (c'était de là que je l'avais trouvé en premier) dans une brochure bien informée du mouvement étudiant de 2003, ca offre un point de vu sur l'université que je partage dans l'esprit sans avoir la même facilité avec tous les concepts L'idée d'une grève étudiant, c'est de penser l'émancipation étudiante à travers l'abolition de la fonction étudiante, tous comme l'émancipation du travailleur, c'est l'abolition de sa condition (et tout comme l’émancipation de l'artiste... c'est l'abolition de son statut, enfin dans cette lignée)

https://lundi.am/De-la-greve-etudiante-a-la-greve-humaine

Y'a aussi cette brochure (viens du magazine AQNI), qui applique le principe de réification de la marchandise au savoir, transformant l'université en usine de production de capital huamain (dont nos amis les ECTS sont les gardiens)

https://www.fichier-pdf.fr/2016/03/16/z-brochure/z-brochure.pdf


Pour continuer sur la question de l'Universté, j'en profite pour vous faire partager les analyses du groupe Jean Pierre Vernant, (j'ai pas trop d'info sur leur identité, je vois juste qu'ils sont actifs sur twetter, et ce doit certainement être un groupe de chercheurs titularisé qui lutte dans le domaine du supérieur et de la recherche). Ils sont bien calé, et font une analyse fine de l’idéologie néolibérale à travers la théorie du capital humain et de son implication sur l'Université.

http://www.groupejeanpierrevernant.info/#QueFaire1
http://www.groupejeanpierrevernant.info/#QueFaire2
http://www.groupejeanpierrevernant.info/#QueFaire3 (intéressant car axé sur l'Université)

Ces analyse sont toujours axé sur cette idée d'une grève humaine, dans l'idée où c'est aujourd’hui l'individu qui a son petit capital (capital humain) et dont il faudrait faire la grève. Le comité invisible, dans le film "et la guerre est à peine commencé" (à partir de 14min30) en donne un exemple de ce que pourrait être une telle grève dans les relations humaines. Car le "vieux monde est une certaine façon de lier les affects aux geste, les affects aux paroles, c'est une certaine éducation sentimentale, et vraiment celle là, on en veut plus. Et l'orgie [ou grève humaine ?], c'est ce qu'il y a lorsque l'un ou l'autre se met à détraquer les liens entre les affects et les gestes, entre les affects et les paroles. Et que d'autres les suivent."

Et la guerre est à peine commencé
https://www.youtube.com/watch?v=rWcAns_KqyM

J'ai écouté aussi tout à l'heure une émission avec Barbara Stiegler, qui analyse le néolibéralisme à travers le darwinisme, elle parle notamment du rapport entre le gouvernement/politique et la vie/biologie. L'idée du néolibéralisme étant qu'il faut que la vie s'adapte à l'environnement économique du marché, c'est à la vie de s'adapter, et pas au gouvernement. Or ca me touche beaucoup comme vision des choses, comme si de mon côté, comme j'en parlais avec cette dialectique cadre/ affect, ce que je souhaite au contraire, c'est que ce soit au gouvernement, à la politique, micro ou macro, de s'adapter à la vie, au cadre de s’adapter à l'affect. Le néolibéralisme serait une sorte de création de condition de concurrence permanente, de survie forcée, qui sonne assez bien avec ce que je peux ressentir.
https://www.youtube.com/watch?v=NeBWN9rMKMs

Sinon aussi Caroline, voici un blog qui peut t'intéresser, c'est un collectif de chercheur sur la question de la communauté

https://communautedeschercheurssurlacommunaute.wordpress.com/

(J'ai lu notamment cet article là https://communautedeschercheurssurlacommunaute.wordpress.com/retour-sur-la-communaute-terrible/#_ftn9

Bon voilà ca fait beaucoup, j'arrête là. La suite du mail est plus axé sur un retour sur certains termes (frustration, destitution), et sur la notion de geste, avec des références aussi, parce que c'est toujours utile de se tenir au courant. Je me penche aussi en ce moment autours du principe de intersectionnalité dans les luttes, mais je l'étayerai une autre fois.

Voilà, à bientôt


__________________________________________________________________
voici le mail écrit en amont



Christian voici mon texte concernant le bilan, bon je t'en ai déjà parlé à l'oral, mais ca me permet de noter le terme de "frustration" qui me semble important (paragraphe 5 et 6), comme lieu de confrontation entre le désir et le cadre (et qui d'ailleurs semble être à la base du développement de la psychanalyse freudienne, la frustration étant le support des névroses). Notion qui est au coeur d'une conception émancipatrice à travers la libération du désir au dehors de l'institution morale (en tout cas c'est dans cette dynamique que je me pose).
https://nathanserrano.hotglue.me/?texte_dernier_bilan

frustration venant de Versagung : "un dire qui prive"
un article sur l'évolution du terme "frustration" dans la psychanalyse
https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2009-2-page-171.htm

Je note cette phrase aussi " On peut donc voir ce mémoire comme un processus, le processus qui va consister à adapter en permanence le cadre au désir, c’est à dire un mémoire où le contenant va sans cesse s’adapter au contenu.". Je cherche donc ici à intégrer un certain type de perspective, une perspective qui suivrait la dynamique de l'affect, plutôt que de se mettre depuis une perspective pseudo objective d'un cadre surplombant.

Je parle ensuite au paragraphe 9 d'un ensemble de geste artistique que je rattache au "geste destituant", c'est un peu fourre tout, mais ca donne un corpus (c'était ma caution d'argument d'autorité pour me rattacher dans une tradition artistique).

Je discutait avec une artiste (Isabelle Sordage) qui me disait que à l'issue des 5 ans en école d'art, on était censé savoir quel serait notre question qui allait nous mener tous le long de notre travail. Pour ma part, je crois qu'à travers ce rapport entre cadre et désir, entre affects disjonctif et conjonctif (dans le schéma de Deleuze), je suis dedans.

Cette notion de conjonction et de disjonction elle m'a bien aidé chez Deleuze. En effet, si on est pris par des affect, le blocage vient dès le moment où nos affects emmènent l'institution du moi dans des directions contradictoire. Exemple lambda : j'ai un désir d'apprendre et faire de la recherche, mais j'angoisse d'être dans une institution d'état qui reproduit les rapports de classe. Or ce n'est qu'à l'école que je peux apprendre. Conjonction, conflit psychique, injonction paradoxale, les affects s'opposent. Mais si je reconsidère mes informations (les croyances), alors je peux me dire que l'école d'état n'a pas le monopole du savoir. Si je deviens ermite savant avec une carte de bibliothèque ou une connexion internet, les affects lié au savoir et à la position de classe ne s'opposent plus, si je fonde une université populaire, au contraire ils se renforcent l'un l'autre. C'est alors une conjonction des affects.

On voit que ces système de conjonction sont lié ici par une croyance limitante (l'école a le monopole du savoir). Notre cerveau va donner une vision du monde en y ajoutant de la croyance, du sens, en agençant la représentation des éléments dans un certain ordre, constituant une vision du monde, un système de sens. Ce système de sens, comme fixation d'un agencement, c'est ca l'institution de notre vision du monde. (enfin je devrais plutôt dire l'institué, je vais utiliser ce terme maintenant je crois).

Il y a cette même dialectique au sein de l'analyse institutionnelle. D'un côté l'institué est l'état des choses tel qu'il se présente, le formel. De l'autre, l'instituant, c'est tous les à côté, tous ce qui ne rentre pas dans le cadre, l'informel. Et l’institutionnalisation c'est le processus d'injection de l'instituant dans l'institué.

C’est le rôle de l’analyse institutionnelle d’identifier le rapport de pouvoir implicite et sous-jacent à l’ordre des choses. C’est son rôle de mettre en évidence le "non-dit" des réalités se présentant comme allant de soi.
http://www.legrainasbl.org/index.php?option=com_content&view=article&id=118


Le pouvoir peut se voir comme geste instituant, le geste qui va performer le même institué. C'est l'ordre moral immuable. C'est une capture, et c'est une capture qui va faire en sorte de se reproduire à l'identique. La puissance destituante, c'est ce qui va au contraire sans cesse ramener l'instituant dans l'institué (Rancière dirait que c'est ce qui ramène l'anarchie dans la démocratie, autrement dit la voix des sans voix dans le partage du sensible). La puissance destituante ne peut pas se voir dans un état de l'institution, mais dans la différence que l'institué montre à chaque reproduction, à chaque institutionalisation. La destitution c'est d'abord un mouvement entre. On ne peut le voir qu'en négation du geste instituant.

Ces question d'institution/institué, on les retrouve à tous niveau. Par exemple dans l'image. Prendre une photo, c'est capturer une composition de lumière sur la pellicule, un composition, c'est à dire un agencement, donc là aussi, un système de sens. L'acte de reproduction de la pellicule, ainsi que sa capacité à rester fixe dans le temps (sa conservation), c'est un pouvoir instituant, ca institue l'agencement inscrit dessus. En ce sens, l'acte de la conservation, d'art ou autre, est un pouvoir instituant. Destituer c'est donc dans ce moment où il y a un changement, entre les différents moments de l'image. SI on prends le cinéma par rapport à la photo, et qu'on considère que le cinéma c'est une image qui change toute les 0,04s, alors l'institué c'est l'image fixe à un moment T, et la destitution de l'image fixe, c'est la différence entre ces images, c'est à dire, le mouvement.

Si je reprend l'exemple de la conservation de la photo, on voit qu'il n'y a rien de naturel là dedans, puisque sans infrastructure, la pellicule serait vite détérioré par la pluie par exemple (elle aurait alors subit un processus destituant).Il y a donc une infrastructure, comme par exemple l'est le frac, qui va opérer une certaine force, une certaine contrainte, pour que l'objet reste dans sa forme, pour qu'il ne s'altère pas. Cette force, c'est la force centripète décrite par Deleuze et Pierre Clastres, c'est la force réactionnaire, qui va comme s'opposer à la tendance entropique du devenir. La conservation n'est pas neutre, statique, elle est au contraire une contre-dynamique, elle est là comme en négatif de tout ce qui pourrait proposer un devenir à la photo. Tout comme on peut créer un silence artificiel en proposant un son inversé, tout comme la matière s’annule avec de l'antimatière, l'acte de conservation est un anti-devenir, c'est une négation de l'extériorité. C'est en ce sens que parler de l'autonomie de l'art me semble un peu nul, en tout cas dans le sens où j'ai tenté de le comprendre, parce que je ne vois aucune autonomie de l'oeuvre là dedans, éventuellement il y a une autonomie relative du monde de l'art (ou plutôt de son économie symbolique), mais il n'y a pas d'autonomie de l'oeuvre, ou de l'artiste, en temps qu'entité fini. L'acte de destituer, similaire à celui de lâcher prise, tao, tout ça, peut alors se penser non comme une force active réactive, comme un effort à faire, mais au contraire comme le fait de ne plus avoir à faire les effort, à ne pas chercher à produire des forces, mais à se laisser bercer par les forces déjà en présence, à défaire les forces qui se bloquent l'une contre l'autre pour pouvoir se laisser emporter par d'autres. Il s'agit de se laisser prendre par un certain mouvement en relâchant la contrainte. On retrouve le couple certainement criticable et trop binaire, de force réactionnaire/force progressiste.

Enfin bon on a donc ici un autre vocabulaire, qui se compose de mouvement, de force, de tension, de direction, plutôt que de ligne et de cadre déjà tracé.

Ce qui tombe bien avec cette idée de geste. Ce terme est utilisé par agamben, comme une sorte d'unité élémentaire littérale " Le geste est en ce sens communication d’une communicabilité. À proprement parler, il n’a rien à dire, parce que ce qu’il montre, c’est l’être dans-le-langage de l’homme comme pure médialité." (bon en fait j'aime bien cette phrase mais je la comprends pas entièrement non plus)

Il y a (je crois que c'est elle qui s'en occupe) Barbara Formis qui s'intéresse à cette notion, avec son Laboratoire du geste.
http://www.laboratoiredugeste.com

Ils ont notamment répertorié dans l'art des répertoire de geste
http://www.laboratoiredugeste.com/spip.php?rubrique17
Et
http://www.laboratoiredugeste.com/spip.php?rubrique50

(je suis d'ailleurs heureux d'y voir le geste de "déproduire", qui sonne assez bien avec ce que je recherche autours de la destitution du productivisme, geste recherché par les partisans de la décroissance notamment)
http://www.laboratoiredugeste.com/spip.php?article466

Je met aussi en lien un croisement qui m'intrigue, celui de philo-performance (croisement entre performance et philo, comme une praxis de la pensée, oui, ca fait rêver)
http://labo-laps.com/quest-ce-philo-performance/

Bon voilà. dans une conférence (que j'ai pas vu), en description, il y a cette question " Pouvons-nous penser la performance comme un art d’un savoir incorporé (art of embodied knowing) ?" C'est un terme qui me fait penser à ce que Brian Massumi appelle vite fait un sentir-penser, c'est à dire une sorte de savoir qui n'est pas directement conscientisé de manière cartesienne, rationisé, mais qui est inscrit dans le corps, dans un savoir qui n'est pas tant un agencement de représentation qu'un agencement d'affect (et d'ailleurs j'imagine que ce serait ça qui serait en amont de la pensée). Dans une conception matérialiste (voire matérialiste dialectique si on pas peur de l'Histoire, mais c'est aussi repris par Foucault et Donna Haraway), les discours sont toujours situé dans une position (et c'est flagrant quand on voit ceux des gilets jaunes et des foulard rouges). Le discours (l'institué) ne décrit pas la réalité, il décrit un certain type de cohérence ou d'agencement qui permet de maintenir en place le pouvoir instituant, comme une sorte de conatus du sens, comme doit l'être l'habitus de Bourdieu (je connais mal ce terme).

Je m’intéresse en effet à ce qu'il y a en amont du discours. Le discours, le langage, dès que c'est fixé, c'est un système de sens, c'est l'ordre moral. Agamben dit que c'est dans la parole, à chaque reformulation du langage, (Rancière parle de paraphrase) que l'on réinstitue le langage, et que l'on peut créer un écart (c'est donc cet écart destituant). Ce qui m'intéresse c'est tout ce qui n'est pas dit, ce qui ne passe pas dans le langage, ce dont l'institué fait le déni.

Bon je m'éloigne un peu, je vais tenter d'être un peu plus sur du concret.

Si je reviens sur ce qui a consisté en une grande part de mon implication ces derniers temps ca a été à travers ce que j'ai vu comme des technologie de capture de l'affect, peut être pas tous égale. J'utilise donc des formes d'autocontraintes. C'est passé par l'utilisation d'outil physique d'autobondage (cordes, menotte) utilisé pendant une nuit par exemple (j'ai arrêté assez vite quand même), ou l'utilisation de cage de chasteté masculine. C'est aussi et surtout passé, à travers l'outil limité de la volonté, par la tentative de réduire progressivement la capture par des substances, activité ou images tel que le sucre, alcool, junk food, internet le soir, site de rencontre, pornographie, masturbation (la cage de chasteté étant efficace à ce niveau), besoin compulsif de produire pour l'école (workaholisme). Il ne s'agit pas de le faire pour être dans une pureté addictive (quoique...) mais plutôt pour comprendre le mécanisme à l'oeuvre autours de ça, ainsi, investir une addiction en l'associant avec une pleine conscience en hypnose est plus qu'utile.

Du coup c'est plutôt pas mal parce qu'on retrouve ici la question de la frustration évoqué plus haut. Dans ce geste, c'est comme si je tentais de me réapproprier cette frustration, c'est moi même qui me frustre, mais c'est comme si en frustrant un affect, je pouvait l'amener autre part. Ce que j'ai appelé un détournement de l'affect. En effet, j'ai remarqué que contrairement au système de sens populaire, on ne tombe pas dans l'addiction comme ça, mais c'est l'addiction qui comble quelques chose. J'étais tombé sur des texte de psychanalyse qui reliait à chaque fois une addiction à une signification symbolique importante. L'addiction comble un manque, ou quelques chose en tout cas. En fait, pour chacun des addictions que j'ai décris plus haut, à chaque fois il s'agissait de réduire une angoisse. Et je ne pouvais pas m'en rendre compte, je ne peux pas conscientiser une angoisse, puisque avant qu'elle ne puisse apparaître j'ai soudain envie de manger du chocolat. Le mécanisme de compensation arrivait avant même que je ne puisse ressentir l'émotion, elle était capturée par l'affect puissant du sucre.

J'ai donc mis en place implicitement comme une sorte de protocole. D'abord arrêter temporairement une ou plusieurs addictions (un peu comme le mouvement straight Edge, mais je connais mal), puis ressentir les émotions que ca provoquait. Ca me demande d'être au calme un minimum, durant une période pas chargé en cours, car ca provoque beaucoup d'émotion. Dans ces cas là je sens que je suis dans un état assez fragile, j'ai une grande énergie vitale, mais c'est comme si mes affects étaient très influencable (capturable), ce qui oblige à devoir le faire dans un cadre sécurisé (comme en vacances par ex, l'école provoque pas mal d'émotions). Ensuite, écouter mes émotions, à travers de l'autohypnose, majoritairement à travers les vidéo de Activzen, permettant de rentrer en transe, et de se concentrer sur les sens interne (parce que oui on a pas que 5 sens, mais aussi celui de la perception interne du corps, de la chaleur, douleur, je crois que c'est ces sens là que je tente d'activer). Et dans ces séances, c'est comme si je tentait de mettre du sens sur cette angoisse, de voir à quoi elle se lie. Comme si je m'autorisait à ressentir des émotions qui étaient refoulé par la conscience jusque là, qui était mis en dehors du cadre de la conscience. J'ai eut plein de révélation comme ça, c'est surprenant de voir à quel points mon corps me connaît mieux que moi. [j'arrête ici d'écrire ca me stress]

_______________________________________________

Bon je reprend ici mon mail. En fait donc hier, j'ai ressenti d'abord un certain plaisir à pouvoir verbaliser par écrit ces recherches, à travers ce mail. Puis au bout de 1 ou 2 heures (ca met du temps à écrire mine de rien), j'ai ressenti progressivement une angoisse. Comme si le désir de base s'était transformé en obligation. Je me sentais obligé de finir cette action que je m'étais faite de vous écrire ce mail, action qui peut durer longtemps au fur et à mesure des digressions plus ou moins nécessaire que ca provoque. D'un seul coup ce mail est devenu une nécessité, une sorte d'auto obligation, puisque je l'avais commencé. Et alors le désir se transformait en effort. Ca n'allait pas. Je me suis donc forcé à arrêter d'écrire, et j'ai tenté de me pencher sur cette angoisse. En situation d'hypnose, je me suis rappelé d'un camarade de classe trisomique, qui certainement devait faire l'objet de moquerie, de ma part y compris (c'était en maternelle, ma mémoire flanche un peu). Et du coup, c'est comme si une connexion s'était faite, comme si cet affect d'angoisse pouvait (pas complétement mais c'était un début) se lier à cette image. Ayant vu auparavant des vidéos sur le validisme (équivalent de l'antipsychiatrie pour les handicapés, pas mal utilisé par les autistes aussi), et ayant discuté avec une amie sur la dissociation qui pouvait s'opérer entre mon esprit et mon corps lorsque je parle, qu'elle voyait aussi comme un mécanisme de pouvoir viriliste, j'ai donc pu faire un début de lien, comme si j'avais intégré un validisme sur le plan intellectuel, comme si le langage me protégeait de quelque chose (du risque d'une assignation autistique, d'un rejet, je sais pas...), que à ce moment là je me forçait à avoir l'air intelligent ou bon élève non pas pour le plaisir de réfléchir, mais pour échapper à la peur d'être vu comme ignorant ou fou. Sous cet angle, l'assignation de schizophrénie de mon père se comprends aussi comme validiste. La rationalisation systématique du monde est une manière de défaire le mécanisme de construction de la norme, une manière de retourner l'assignation à la folie (ou au non-approprié), mais c'est la conséquence d'une angoisse bien plus profonde (enfin bon ca c'est dans l'idée de la conception d'un système validiste). Ca a donc une part d'utilité, mais ca devient névrotique quand je me fonde que dessus, que ce n'est plus lié à un désir mais à une nécessité, que ca prends la place du reste (je suis alors capturé). La solution peut être serait alors de faire la grève de la rationalisation, si je reprends JY Jouannais, à faire l'idiot. C'est encore un truc que j'ai du mal à m'autoriser.
________________________________________________________________
Je continue ce mail quand même pour finir cette idée

C'est donc comme si lorsque je ne comblait pas mes angoisse par des addictions, j'étais obligé d'y faire face. Et que ces angoisse n'ont pas une signification simplement individuelle, mais que c'est une violence micro-politique qui traverse mon corps ou ma famille et qui est aussi une violence d’ordre macro-politique, les « systèmes de captures » comme le patriarcat, le capitalisme, les conflits de classes, les guerres, le binarisme de genre, voire le biopouvoir, le spectacle, la société du contrôle, ne sont pas des phénomènes abstraits. Ils agissent directement à même la chair, sur les corps de ma famille et de mes amis, et sur mon corps, sur mon esprit, sur ma vie. Et je sent que l’évolution du monde n’ira pas en s’arrangeant. C'est comme si ce système d'addiction était la "drogue du capitalisme", fonctionnant comme des œillères de la subjectivité, et lorsque l'on s'en éloigne, on se confronte à toutes les violence qu'il nous fait dans le dos.

Ce que je tente de tester à travers mes recherches, c'est la charge politico-existencielle d'une sorte de maladie anthropologique qui se cache derrière ce symptôme qui en serait l'addiction, pensée comme un système de reproduction d'une dissociation affective, qui rejette les affects non-conforme à travers l'utilisation des substance, d'images, d'association de langage ; c'est à dire par des agencements. Tous ces agencements seraient donc socialement construit pour se protéger d'un réel difficile à digérer, et au passage nous volerait une "subjectivité radicale". Ce système de maintiens de l'ordre affectif fonctionnerait comme des mécanismes de défense sociétaux, créant le surmoi fantasmé d'un monde qui refuse de se voir et se vivre tel qu'il est.

(j'ai un peu l'impression de devenir paranoïaque, mais bon, faut assumer maintenant)