5 Février 2019
17h35

bonjour

Je réécris pour la 8eme fois ce texte


Je suis donc ici pour répondre à un exercice, consistant en 3 points : faire une petite présentation de mon mémoire, présenter une partie de mon travail, et anticiper ce qui pourrait être un accrochage de diplôme. Le cadre temporel est de 20 mins, avec par convention environ 10 mins pour la présentation, et le reste pour les questions (bon à la lecture le texte en fait 15, c'est nul). Ce sont ici les contraintes de l’exercice, et mon objectif est de les respecter, tout en tentant de maintenir scrupuleusement l’intégrité de mon travail.

Lors de la préparation de ce bilan, j’ai tenté d’envisager différents type de présentations, expositions de productions d’objets, voire de petites mise en scènes, mais ca ne me convenait pas. Ca sonnait faux. En fait cela provoquait un sentiment d’angoisse, de frustration ou de dépossession. Je me sentais obligé de produire ou d’exposer alors que je trouvait ça incohérent avec ma démarche. Comme si mon travail ne pouvait pas s’inclure dans le format de l’exercice. Je me suis donc dit qu’il serait intéressant que je fasse un travail d’écriture. Décrire de manière condensée ma démarche.

Lors de l’écriture de ce texte, j’ai passé beaucoup de temps à écouter mes affects concernant ce bilan, et par extension l’examen du diplôme. Je suis en effet assez surpris de voir à quel point mes affects me renseignent efficacement sur l’analyse d’une situation, je tente donc d’en saisir leur signification lorsqu’ils se manifestent, et de leur faire confiance.

Je parlais d’angoisse. Celle ci est similaire à l’angoisse que l’on peut ressentir en général par rapport à n’importe quel examen universitaire. Angoisse de ne pas obtenir le diplôme, qui est comme ampifié en miroir, au désir de l’obtenir. Ce conditionnement affectif par le couple angoisse/désir, relié au diptyque échec/réussite du diplôme, constitue un régime d’affect similaire au rapport de dépendance du salariat. Rapport dont ici le dispositif d’évaluation constitue la médiation. Grossièrement, c’est comme si on était payé en diplôme pour notre travail en tant qu’étudiant. Cela signifie que tant que je serais soumis à ce régime d’affect par rapport au diplôme, toute recherche que je pourrai effectuer dans ce cadre sera d’ordre alimentaire. Le bilan que je passe ici, lui aussi, est d’ordre alimentaire. Tout comme l’es dans le champs artistique une « commande ». Or je crois que ma pratique aujourd’hui, enfin celle qui m’interesse fondamentalement, touche justement cet espace alimentaire. Je crois en effet rechercher, investir voire construire des espaces de création qui ne soient pas soumis à ce format.

J’ai parlé du couple angoisse/désir, je veut parler maintenant de frustration. La frustration peut se comprendre quand un désir ne peut pas être réalisé, il se confronte à un cadre, à une limite, qui l’empêche de se déployer. Et c’est comme si je tentais de comprendre les enjeux de cette frustration, ce point de confrontation entre un désir et un cadre, pour transformer la situation en autre chose.

Le mémoire peut se comprendre dans cette optique là. J’ai voulu partir de cette énergie du désir, energie d’exploration vers un extérieur inconnu, énergie qui s’est déployé aux seins de canaux différentes, par exemple canal texte écrit, canal performance vidéo, canal musique, canal conférence improvisé. Le trajet de cette énergie dans ces différents canaux, formé par les affects mis en jeu, constitue le mouvement propre d’une recherche. Le mémoire est la traces de ces recherches. Assez vite, le désir s’est confronté à une frustration, à un bord du cadre, à quelques chose qui s’opposait à lui. Par exemple il fallait réduire son champs d’action en lui fixant un sujet ou une problématique en amont, ou il fallait corriger ses fautes d’orthographes, ou il fallait être aisément accessible. L’analyse de cette frustration a permi de comprendre quel était cette limite atteinte, d’en questionner la légitimité, ou de reconsidérer l’objet de son désir. Cela a permi soit de formuler une critique du cadre lorsqu’il apparaissait incohérent avec sa raison d’être, à la manière d’une déconstruction, soit de trouver des stratégie pour détourner ou transformer la frustration vers autre chose. Quand je parle du cadre ici, il est question bien sûr du cadre d’évaluation dans le quel s’est inscrit ce mémoire, mais aussi du format physique du mémoire, et de mon propre cadre psychique, corporel ou familial, mes affects se sont aussi confronté à ma propre personne. On peut donc voir ce mémoire comme un processus, le processus qui va consister à adapter en permanence le cadre au désir, c’est à dire un mémoire où le contenant va sans cesse s’adapter au contenu. C’est donc un mémoire qui tente de s’évader, d’échapper à la capture, qui tente de construire de nouveaux cadres pour ne pas perde l’énergie du désir qui est toujours en train de s’échapper.

Je parle de capture. C’est un terme important. En effet, je tente de comprendre comment fonctionne la capture, et comment m’en protéger, comment la fuir. Je vois la capture comme le fait d’être aliéné, c’est à dire d’être pris dans un cadre, sans avoir la possibilité d’en sortir, jouant comme une sorte de piège, de cercle vicieux de violence. Quand j’étais petit, je me suis confronté plusieurs fois de manière plus ou moins directe à des formes de captures psychiques ou sociales, comme le sont les relations toxiques dans le couple ou le harcèlement moral. C’est comme si j’avais développé une fragilité ou une sensibilité à ce phénomène et que j’étais dans la nécessité de me construire des outil pour en déjouer l’emprise. La mobilité à Shanghai a été comme un déclencheur de ce qui avait avait été laissé comme mémoire traumatique oubliée sur le plan émotionnelle. Avec le recul je remarque que ce motif de capture se repète au sein de mon histoire familiale, à travers des violences conjugales, de la folie, des addictions, des névroses plus ou moins marquées. Mais ce que je remarque également, c’est que la violence micro-politique qui traverse et violente ma famille est aussi une violence d’ordre macro-politique, les « systèmes de captures » comme le patriarcat, le capitalisme, les conflits de classes, les guerres, le binarisme de genre, voire le biopouvoir, le spectacle, la société du contrôle, ne sont pas des phénomènes abstraits. Ils agissent directement à même la chair, sur les corps de ma famille et de mes amis, et sur mon corps, sur mon esprit, sur ma vie. Et je sent que l’évolution du monde n’ira pas en s’arrangeant.



Je cherche donc un certain mouvement, celui qui s’échappe et empêche la capture, celui de l’émancipation, de la libération, et que l’on peut comprendre comme le « geste destituant ». Citons le comité invisible « Le geste destituant ne s’oppose pas à l’institution, il ne mène pas contre elle une lutte frontale, il la neutralise, la vide de sa substance, fait un pas d’écart et la laisse expirer. » ou encore « La où la logique constituante vient s’écraser sur l’appareil du pouvoir dont elle entends prendre le contrôle, une puissance destituante se préoccupe plutôt de lui échapper, de lui retirer toute prise sur elle, à mesure qu’elle gagne en prise sur le monde qu’à l’écart elle forme. ». (maintenant, chapitre « destituons le monde", comité invisible).



Dans ce geste on trouve d’un côté le désinvestissement d’un support qui en devient vide de contenu, et de l’autre l’investissement de son dehors. Bien sûr ce geste est recherché dans d’autres champs que artistiques, et je tente de trouver d’autre endroits ou discipline où il pourrait être pratiqué, mais pour l’instant c’est ici dans l’école et dans l’histoire de l’art que je peux y trouver un terrain d’étude pratique. Je retrouve cette recherche d’un geste destituant chez de nombreux artistes, dont j’ai fait une liste un peu frontale, mais c’est histoire de faire comme une bibliographie pour montrer que c’est bien inscrit dans une histoire de l’art. Ainsi, sur une affiche on lit que « Dada est la décomposition volontaire du monde des concepts bourgeois » , Debord à travers son film « Hurlement en faveur de sade » vide le cinéma de son contenu, les situationiste veulent vider le contenu de l'art et du travail à travers leurs recherches sur le détournement et l’utopie du temps libre. Volonté de destitution du travail à travers le texte de Malévitch « La Paresse comme vérité effective de l'homme », que l’on retrouve dans l’attitude de l’anartiste Duchamps à travers la perspective de Lazzarato (« Marcel Duchamps et le refus du travail »). John Cage qui vide le discours de son contenu lorsqu’il dit « je n’ai rien à dire et je le dit », et qu’il déjoue la musique avec son 4:33. Le vide de la valeur et de la production avec le principe d’équivalence de Robert Filiou. L’exploration de l’art, anti-art et non-art chez Allan Kaprow, et sa démarche qui vise à atteindre la trame de la vie. Yves Klein et son espace vide. Destitution de l’espace d’exposition à travers sa cartographie à l’échelle 1:1 et la dissémination d’un motif dans et hors l’exposition de Daniel Buren, à l’image du site et du non-site que l’on retrouve chez Robert Smithson à propos du land art, ou la dissémination dans le dehors de l’oeuvre de Felix González-Torres. De la fuite vers le dehors à travers l’exposition sous licence copyleft d’Antoine Moreau. Tentative de créer un dehors à l’institution de l’art à travers tout le mouvement du mail art, net arts, avec des artistes commes Fred Forest, le département des Aigles de Marcel Broodthaers, ou encore avec l’essort des fanzines et webzines, des livres d’artistes comme ceux d’Eric Watier, des contre-cultures innombrables, des raminifications des mode de production DIY punk. Destitution de la neutralité de l’espace d’exposition au travers des gestes de déconstruction de Michael Asher ou de son inscription politique avec Hans Haacke, ou de l’investissement de son dehors par Laurent Marissal. Ou encore à travers la grève de l’art, dans les propositions de Goran Dordevic, Stewart Home, extensible à la grève humaine mis en avant par le collectif Clairefontaine. Enfin je pense aussi à l’éloge de la discrétion qu’on retrouve chez Francesco Materesse, Hackim Bey ou encore Pierre Merejkowsky, voir même à la disparition à travers les gestes de Chris Burden ou Bas Jan Ader.


Voici donc ce que je cherche à faire pour le diplôme, à effectuer un geste destituant, comme pourrait l’être le geste de destituer mon diplôme. Bon alors évidement ca demande un peu plus d’élaboration, et c’est peut être un poil trop ambitieux, mais disons que je sens bien que je vais vers ça, donc je dois assumer. Comme l’écrit encore une fois le comité invisible, « Destituer, ce n’est pas d’abord attaquer l’institution mais le besoin que nous avons d’elle. ». Dans cette conception une solution pour moi serait de défaire le besoin que j’ai de ce diplôme, voire par extension le besoin que j’ai de l’école, voire par extension le besoin de l’institution de l’art ou de l’industrie culturelle, voire, on peut réver, de l’institution de l’État et du capitalisme en général. Cette dépendance ne peut se défaire qu’à la condition de trouver ou construire ailleurs ce qui me retient à elle. A travers le mémoire, et jusqu’à aujourd’hui, je tente notamment de travailler sur mon régime d’affect, et de me construire des outils pour pouvoir détourner les flux affectifs vers d’autres objets. Par exemple, si je peut investir mes effect et donc mon travail et ma vie dans un espace qui ne dépends pas ou peu de l’obtention du diplôme, cela permet de désinvestir le diplôme comme moment de révélation de mon travail artistique, de cacher mon travail de l’influence performative du diplôme. Cela m’arrange bien, puisque je n’ai alors plus à ressentir cette frustration face au format trop restreint du diplôme.

Alors oui, très bien, mais alors qu’est ce que je vais montrer concrètement au diplôme ? Hé bien si en effet ce que je souhaite, c’est investir mon travail de création dans le dehors de l’évaluation, c’est qu’il faudrait que je ne passe pas le diplôme à la fin de l’année, que je démissionne comme le fait cet étudiant dans le livre « Après demain ». C’est une possibilité, bien qu’elle ne me satisfasse pas complétement, car mine de rien j’aimerais bien l’avoir ce diplôme, ne serait ce que pour avoir la possibilité de postuler à un post-diplôme si je le souhaite plus tard. Car je peux aussi penser à utiliser cet espace du diplôme comme espace à investir autrement que par un désir créatif, c’est à dire, comment trouver une forme d’exposition qui permettrai de rendre visible cette incapacité à investir l’espace de l’évaluation ? De montrer plastiquement cette démarche de l’évasion du désir ? Suffit il de laisser une absence invisible, ou peut être serait il plus judicieux de rendre visible un manque ? Comment montrer que « je préférerait ne pas » avoir à exposer ?

C’est là que je peut peut être à la fois respecter l’exercice du dispositif d’évaluation, et tenter d’en desactiver sa fonction d’exposition, peut être que je peux tenter d’exposer le dispositif d’évaluation lui même, en révéler le format, montrer le bilan tel que moi je le vois, c’est à dire comme un format que je n’utilise plus aujourd’hui pour continuer mon travail, mais que pour autant j’aurait pu utiliser, car cela reste un format parmis d’autre. Je crois que ainsi, en montrant la limite du format, et donc la posssibilité d’un dehors, et donc d’autres possibilité en dehors de cette limite, sans pour autant qu’elle ne soit ingéré par le format de l’exposition, il y a là comme la possibilité de pouvoir désactiver la capture. On aurait alors comme une forme de littéralité de l’exposition, c’est une exposition qui n’exposera rien d’autre qu’elle même.

Alors bien sûr, ce n’est qu’une projection, j’ai eut cette idée, en achetant ce livre de Ilan Manouach. Il s’agit d’une BD blanche, qui, en n’ayant pas de contenu, expose son contenant, et en revèle la standardisation. Cette manière de montrer l’architecture, de révéler le format, pour en montrer les limites, je trouve ça très malin et je me suis donc demandé à mon tours ce que pourrait signifier un diplôme blanc, un diplôme qui montre l’architecture du dispositif d’évaluation. Mais bon, certainement que d’ici là j’aurai trouvé des limite à cette proposition. Et je finirai sur une citation d’un philosophe que j’aime bien « Le geste est en ce sens communication d’une communicabilité. À proprement parler, il n’a rien à dire, parce que ce qu’il montre, c’est l’être dans-le-langage de l’homme comme pure médialité. » Note sur le geste, Agamben.

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